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Renouvellement du fluide de conservation inconnu


2022/03/10


Professionnellement, je suis amené à être au contact et échanger avec le corps enseignant. On m’a récemment contacté pour savoir si j’avais du formol à disposition, question anodine mais départ d’une histoire qui m’a amplement sorti de ma zone de confort. J’ai procédé à la planification d’un protocole à multiple embranchements en fonction du liquide discriminé par un réactif de Schiff qu’il m’a également fallu préparer. Ces diverses possibilités étaient la cause d’un protocole très riche, une indication sur le bocal de la nature du liquide aurait amplement simplifié la tâche ce qui sera dorénavant le cas.


Contexte


Une fois dans sa toile, le prédateur ne lâche pas sa proie. Une enseignante m’a contacté à propos d’un de ses spécimens en conservation avec pour objet du message un sobre « formol ? ». Sans entrer dans les détails, elle avait en sa possession une racine de Panax ginseng conservée en fluide, « probablement du formol », dans un bocal, le niveau du-dit fluide ayant amplement diminué elle souhaitait savoir si j’avais à ma disposition du formol pour une remise à niveau. Une recherche sur mon inventaire aura suffit, j’avais effectivement un bidon étiqueté « Formol 37 % ». Reste à savoir quoi en faire. Ce à quoi elle répondit qu’elle allait « se renseigner et passer à l’occasion ». Bravoure, idiotie ou naïveté, j’ai le soir même entamé quelques recherches sur le sujet.avant de lui envoyer une bibliographie commentée. Comme un débutant j’ai fait l’erreur de ne pas me faire discret au moment où un professeur pose une question à sa classe ; pas plus tard que le lendemain elle amena son bocal, patate chaude, à mon bureau pour que je me charge de l’opération.


Montage du protocole


Une analyse de la littérature avec notamment des rapports détaillés d’opérations similaires[1] ont permis à un novice de monter un protocole complet. N’ayant que survolé la littérature[2], je devais désormais m’improviser archiviste biologiste autodidacte pour pouvoir effectuer ce qui serait mon premier renouvellement de fluide de conservation et quelle première fois ! Je n’avais aucune idée des protocoles usuels, ni des difficultés auxquelles m’attendre avec un bocal cylindrique en verre de 1 m pour un diamètre de 10 cm rempli d’un liquide inconnu. Évidemment, la solution facile aurait été de procéder à une analyse par chromatographie mais c’eût été trop simple d’en avoir un de disponible, j’ai fait avec les moyens du bord (Attention, ça va revenir souvent). Il fallait dans l’ordre :


Identifier le fluide en présence ;

Être capable d’en reproduire la quantité nécessaire en tenant compte des altérations chimiques dues au temps et pouvant conduire à une dégradation de l’intégrité du spécimen ;

Procéder au renouvellement de manière à n’endommager ni le spécimen relié au bouchon en liège ni mettre ma propre santé en jeu.


Je ne cache pas que me répéter que l’opération allait bien se passer était plus une forme d’autosuggestion qu’une expression de mes pensées. Relativisons, ce n’est qu’une plante après tout, même si malheur devait lui arriver on parlerait d’une valeur exclusivement pécuniaire d’environ 150 € ? Ha. C’était sans compter sur une collègue qui m’appris que ce spécimen aurait été léguée à l’enseignante par sa propre tutrice aujourd’hui décédée… Donc qu’il y avait en plus, et surtout, une valeur morale.


Identification du fluide


Le fluide a été identifié par réaction de Schiff, en partie. D’après la littérature, les bonnes pratiques de collection en fluide conduisent généralement à l’utilisation de trois fluides de conservations : le formol (4 %), l’éthanol (60 %) et le glycérol pur[3]. Ma première étape consistait à déterminer la nature du fluide en présence afin de pouvoir le reproduire par la suite. Le risque majeur à cette étape étant la présence de formol. Substance hautement controversée de par ses effets néfastes sur la santé, elle reste utilisée de façon ubiquitaire malgré une transition vers l’éthanol. Une manière de l’identifier est par utilisation d’un réactif de Schiff[4]. Celui-ci est un indicateur coloré, initialement transparent mais qui change de couleur au contact, entre autres, du formol mais pas de l’éthanol. Contacté, le gestionnaire des produits chimiques n’avait évidemment pas ce produit en réserve et j’ai du faire avec les moyens du bord. D’autres méthodes de détections sont existent[5] vers lesquelles je me serais tourné si la première approche n’avait pas fonctionné.


Le réactif de Schiff est produit à partir d’un composé coloré telle que la fuchsine, décolorée au contact de soufre, le tout en milieu acide avant d’être filtré au charbon[6]. La liaison du soufre sur le noyau central de la molécule provoquerait un changement de configuration qui conduirait à la perte d’absorption de longueurs d’onde et ainsi de coloration. Par « affinité », le formol rompt cette liaison et permet au composé coloré de reprendre sa forme initiale. Il me fallait donc mettre la main sur de la fuchsine, un acide et une source de soufre, la littérature citant les bisulfates. Je n’avais évidemment rien de tout ça et, encore une fois, j’ai fait avec les moyens du bord. Comme dans tout commentaire sous une recette de cuisine, j’ai cherché des substituts. Pour la fuchsine, la molécule ressemble au violet de gentiane qu’on utilise, hop, dans le panier à côté de la fuchsine de Ziehl–Neelsen. Je sais pas qui est ce gars mais il doit pas être si important que ça, la fuchsine est là. Pour le soufre ça s’annonçait plus complexe, mais la solution était évidente. J’ai d’abord cherché une manière d’obtenir un bisulfate à partir du thiosulfate à disposition, la méthode semblait bancale et bien qu’en présence de sulfate, je n’étais pas convaincu des composés qui seraient obtenus par dissolution. C’est alors que j’ai eu l’idée de rapprocher les deux derniers composants, le soufre et le milieu acide. De l’acide sulfurique. Pour ce qui est du charbon, celui-ci ne sert qu’à filtrer le produit et à ma connaissance ne réagit pas particulièrement avec les composés en question, à la trappe. Un passage sous la hôte, quelques mélanges plus tard et je venais de bricoler mon propre réactif de Schiff, ou ce qui pourrait servir de chaufferette, la réaction de décoloration étant exothermique.


       | Fuchsine      | Violet Gentiane
Réactif| Jaune clair   | Brun foncé
    Eau| Jaune clair   | Vert foncé
Éthanol| Jaune clair   | Vert foncé
 Formol| Rose fuchsine | Brun foncé

Des deux méthodes, j’ai préféré la fuchsine pour la suite, le virage coloré étant plus distinct. Les différents états obtenus avec le violet de gentiane sont néanmoins intéressants et pourraient servir d’une certaine manière.


Reproduction du fluide


Le fluide de conservation a été reproduit et remis à niveau après test de Schiff et comparaison de densité. Sans savoir la nature du fluide, j’ai du me préparer à diverses éventualités à savoir quels mélanges préparer dans le cas de formol, éthanol ou glycérol. Contrairement aux idées reçues, le formol n’est pas le nom d’une molécule mais d’un mélange. Il est obtenu à partir de formaldéhyde, stabilisé à l’aide d’un alcool, de telle manière que 37 % s’avère être la concentration maximale que l’on peut obtenir. Avec le temps, le formol a pour risque de se dégrader en acide formique ce qui aurait un impact néfaste pour le spécimen conservé, aussi, on utilise généralement un tampon pH tel que du tampon phosphate à hauteur de 10 g.L⁻¹[7]. Pour l’éthanol, on utilisera plus simplement une forme diluée à l’eau à 60 %. Le glycérol quant à lui peut s’utiliser sous forme pure mais nécessite l’ajout d’un antifongique.


Armé de mon nouveau jouet, j’ai entamé la procédure. Surprenamment l’intégrité du bouchon était satisfaisante, pas d’effritement ou de lésion, notamment au niveau du point d’attache du spécimen, malgré un état de décomposition avancé sur la surface qui était au contact du fluide. Le parafilm servant de joint était probablement une source d’évaporation, mais sans outils adéquats tel que du silicone, impossible pour moi de faire mieux, le résultat ne serait que temporaire. Un prélèvement de la solution inconnue, quelques gouttes de mon réactif de Schiff eeet… Rien. Ce n’était pas du formol et mes poudres en vue d’un tampon phosphate s’avéraient inutiles. Petit instant de panique. J’étais tant persuadé de trouver du formol dans ce bocal de date inconnue que j’en avais mis de côté la méthode pour d’autres éventualités. La faible viscosité m’indiquait cependant que ce n’était pas du glycérol et je me suis tourné vers l’éthanol. De façon arbitraire et probabiliste, ne faites pas ça chez vous, je l’ai dit, j’ai fait avec les moyens du bord.


La solution et l’éthanol à 60 % étaient miscibles, cependant lorsque déposé à sa surface, l’éthanol ne se mélangeait pas naturellement et restait en surface. La densité de l’éthanol 60 % était donc plus faible que celui de ma solution. La densité de l’éthanol étant plus élevée que pour l’eau (789 contre 997 kg.m⁻³) j’ai supposé une évaporation de l’alcool conduisant à un gain en densité de la solution, plus riche en eau. J’ai réalisé une gamme de dilution de l’éthanol où j’ai déposé délicatement ma solution de manière à estimer le taux d’alcool qui y était contenu (toujours dans l’hypothèse arbitraire où c’est bien une solution d’éthanol). J’ai ainsi obtenu une estimation proche de 50 %. Faisons les choses bien, j’avais calculé un volume à ajouter de 1 L or le volume de solution en présence était de 2 L. Soit une concentration désirée de 60 % avec une concentration initiale de 50 % alors il me fallait non pas ajouter un mélange d’éthanol à 60 %, ce qui aurait fait une concentration moyenne de 53 % mais à 80 %. Plus qu’à refermer à l’identique avec du parafilm et le bocal était enfin prêt à être récupéré !


De fil en aiguille, j’ai été amené à m’improviser des compétences d’archiviste. J’ai fabriqué du réactif de Schiff basique de manière à pouvoir déterminer catégoriquement du formol où ,dans mon cas, qui m’a permis d’écarter sa présence, Et j’ai procédé à la remise à niveau d’un fluide vraisemblablement mélange d’éthanol. Conservation dans de l’éthanol à concentration proche des recommandations actuelles de 60 % ? Quelque chose me dit que ce spécimen a des choses à raconter et certainement plus récentes que ce que l’on ne pourrait croire. Bien qu’exceptionnel, j’ai énormément appris au cours de ce travail auto-dirigé et ferai en sorte de ne pas l’oublier (en partie la raison pour laquelle je l’écris). J’ai également fait bonne mesure et placé une étiquette discrète de manière à ce qu’un futur moi gagne du temps et sache directement la nature du liquide.


Références


[1] Conservation-restauration d’une collection botanique en fluide, M.Dangeon 2016

[2] Collections en fluide, OCIM 2018

[3] La conservation des collections en fluide, M.Herbin 2013

[4] Test de Schiff (Wikipédia)

[5] A simple method for the detection of formaldehyde, S.Fregert 1984

[6] Eine neue Reihe organischer Diaminen. Zeite Abteilung, H.Schiff 1866

[7] Formaline fixative, Surrey 2014.

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