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je suis devenu paranoïaque le journal d'un noob épisode 1-Google Desktop

Un Jour, il y a longtemps un pote m'a dit : "Je sais déjà que je suis pas Néo, je suis pas l'appelé qui fera péter le système, mais par contre je vois bien les agents Smith".

Le gars faisait du rap, faut reconnaitre que dans le hip hop, ils sont plutôt bons dans les punchlines.

Je lui emprunte sa formule parce qu'elle situe à peu près mon rapport actuel à la technologie: Faute de compétences techniques, faudra pas trop compter sur moi pour libérer l'informatique des gafam, mais je suis désormais bien documenté sur leurs agissements en tant que simple utilisateurs.

Ça n'a pas toujours été le cas, j'ai été un jour cet agneau totalement innocent qui n'avait pas conscience d'être une proie.

Je vais essayé de raconter par bribes les expériences qui m'ont servie de prise de conscience,juste pour le fun.

Un genre de roman d'apprentissage de gros noob.


DESKTOP

Je me souviens qu'en 2005, un sondage avait fait ressortir que Google était l'entreprise préférée des jeunes.

Je me souviens qu'à l'époque, j'étais pas loin de penser la même chose que les sondés (pas loin, parce que bon, même sous la torture, jamais je ne célébrerais une entreprise capitaliste, j'ai un degré de méfiance minimale qui me l'interdit).

Google, c'était pour moi la revanche des nerds, les gars du club informatique du collège qu'on commençait enfin à considérer, je les voyait presque en mesure de réussir à réaliser la tour de Babel, ce projet théorique de sauvegarde du savoir humain (En fait ce projet s'appelait le web, j'ai simplement confondu, comme beaucoup de gens).

Sans être fan, je trouvais fascinant ce besoin de tout compulser de la part du moteur de recherche, et à l'époque leur projet "earth" était assez impressionnant.

Je crois que l'idylle n'a pas durée si longtemps que ça, déjà en 2007, les premières critiques de l'entreprise commençaient à arriver jusqu'à mes oreilles, et pour être tout à fait honnête, je me souviens que j'utilisais souvent "scroogle scrapper", un genre d'ancêtre de searx, parce que je trouvais le truc cool et que j'étais méfiant devant la puissance de l'entreprise.

Mais je ne me méfiais pas parce que j'avais identifié que Google était une saloperie de big brother qui allait faire advenir les pires peurs du libertaire qui est en moi!

Non, cette peur là a commencé à poindre quand j'ai croisé un jour leur programme "Google Desktop" sur l'ordinateur de l'association qui m'employait.


Desktop a été abandonné en 2011 par Big Brother incorporated.

Le programme consistait à offrir la puissance de leur outil de recherche, non plus pour seulement internet mais pour l'ensemble des fichiers d'un ordinateur.

Je comprends bien pourquoi l'informaticien de l'association avait installé le programme: il devait gérer les 10 postes informatiques et cette fonction n'était même pas inscrite dans son contrat de travail.

Résultat: il manquait de temps, et vu de loin, son réseau avait en effet l'air assez bordélique ( le pauvre devait s'occuper d'ordinateur sous windows, c'est en soi une bonne explication au bordel).

Ce programme installé sur l'ordinateur maitre lui permettait de trouver plus facilement les nombreux fichiers des différents ordis.

Sur le papier, ce programme était une bonne chose.

Le problème selon moi c'est qu'il combinait recherche sur l'ordinateur et recherche sur internet, tout ensemble.

Je ne suis pas calé en informatique, mais à y réfléchir ce truc à mes yeux ressemblait beaucoup à un "logiciel espion".


Je faisais à l'époque la comptabilité de l'association et j'avais un très petit volume d'heures payées.

Je donnais le reste du travail sous la forme du bénévolat, c'était l'arrangement d'alors.

Du coin de l'œil, je vois sur mon écran cette petite icône que je ne connaissais pas : Google Desktop.

Intrigué d'abord, je me dis que ça à l'air cool et sans plus attendre, je clique dessus.

L'interface est minimale, il n' y a même pas d'introduction ou de page d'aide, juste la barre de recherche déjà bien identifiée.

L'entreprise est assez coutumière de ce genre d'interface simplifiée à l'extrême, un seul bouton pour s'assurer que l'utilisateur lambda saura quoi faire: il va cliquer dessus, c'est certain.

J'ai donc fait ce qui était évident: j'ai saisis une bouillie de caractères aléatoires dans le moteur de recherche et j'ai validé ma requête.

Étonnamment, j'ai eu à l'écran quantités de réponses, il y avait de surlignés chacun des caractères de ma requête lorsqu'ils étaient présents dans le nom d'un fichier ou son extension.

Je comprends que le programme est précis et puissant, mais honnêtement les fichiers informatiques ne me parlent pas, je me désintéresse assez vite.

Par acquis de conscience, je tape une seconde recherche, un mot cette fois ci.

C'est la même procession de fichiers au noms étranges et aux extensions exotiques pour moi.

Je fais défiler les résultats et les pages, pour ma culture personnelle cette fois ci, histoire de mesurer la complexité des entrailles d'un ordinateur.

Et là je commence à voir apparaitre des fichiers familiers qui arborent des icônes de navigateurs internet classés par dates.

Je comprends que le truc affiche aussi les recherches internet.

Ça m'inquiète un peu ça, parce que j'utilise beaucoup Internet (sur mon temps de bénévolat) et même si j'efface régulièrement l'historique, il y a peut être quelque chose que je n'aimerais pas voir dévoilé à l'informaticien.

Je suis même un peu chagriné qu'il installe ça à l'insu des utilisateurs, car après tout même si c'est sa fonction, il devrait nous prévenir.

Je commence donc à scruter un peu mieux les sessions internet par dates de l'ensemble du réseau pour y effacer mes traces.


Je constate rapidement que je ne suis pas le seul à utiliser internet sur mon temps de bénévolat.

Ce que je découvre est intéressant: même sans avoir le nom de l'utilisateur, je parviens à me faire une idée assez précise de son profil.

L'association a deux "catégories" de bénévoles: Des jeunes et des retraités.

Rien que sur la base des quelques sites consultés, parfois sur un temps de seulement une vingtaines de minutes, je sais parfaitement à quelle catégorie l'utilisateur appartient, et je me fait déjà une idée des centres d"intérêts de la personne.

Je n'ai pas les noms, mais en me grattant un peu la cervelle je pourrais facilement trouver.

Simplement, je ne le fait pas, parce que l'expérience me gène, je ne suis pas un voyeur.

En fait je ressens alors un peu les turpitudes paradoxales de celui qui verrait sa voisine se déshabiller depuis sa fenêtre: je regarde parce que je suis curieux et un peu attiré, mais une autre voix me répète que ça ne se fait pas et rend l'expérience désagréable.

Je chasse l'idée de connecter les sessions aux personnes et me reconcentre sur ma tâche principale, effacer ma présence du réseau, parce que c'est mon droit, après tout.

Je trouve moult de mes recherches dans les sessions, et ça me conforte encore plus dans la justesse de ma tâche.

Je tombe alors sur une session internet, et cette fois j'ai le nom de la personne, la jeune femme a consulté son profil sur le site copain d'avant (l'ancêtre de l'ignoble Facebook).

Et bien sûr je ne peux m'empêcher de m'intéresser à son profil, je découvre qu'elle a grandit en Bretagne, je vois sa date de naissance, son parcours scolaire, j'ai même ses amis d'alors.

Je ne me choque déjà plus tant que ça d'avoir tant d'informations sur elle, je ressens simplement que c'est asymétrique, elle ne sais pas que je sais et ça me dérange un peu.

Je clique ensuite sur le lien suivant et là je découvre, effaré, un échange mail qu'elle a eu dans la foulée de sa session sur copain d'avant avec un de ses amis d'enfance.

En clair elle reprenait contact par mail avec lui, et lui proposait un rendez vous dans tel café, a cette adresse ci, ce vendredi là à telle heure.

Elle lui donnait même en fin de message son numéro de portable en cas d'empêchement.

Résumons: sur 15 minutes de connexion, j'avais le nom de la personne, son âge, l'endroit où elle avait grandie, les écoles qu'elle avait fréquentées, les études qu'elle avait suivie, le nom de ses amis d'enfance, son adresse mail, le nom et l'adresse mail de son ami d'enfance (un ancien crush?) son téléphone portable, l'adresse exacte du café où elle avait rendez vous avec cet ami d'enfance le vendredi de cette semaine là.

Et pourtant dans la vraie vie, cette fille, j'avais du échanger trois mots aux maximum, je ne la connaissait que de vue, pour ainsi dire.

Sur le coup, je me suis surtout demandé comment un mail, que je pensais confidentiel (pourquoi nous demander un mot de passe, si ce n'est pas le cas?) avait pu se faire attraper par cette technologie, pas bien plus.

J'ai simplement effacé ses données, un peu troublé.


J'ai terminé d'effacer au maximum les données de connexions d'internet, puis j'ai repris mes tâches comptables.

Ce n'est que lorsque je suis rentré chez moi que j'ai percuté que ce à quoi j'avais eu accès, google l'avait aussi forcément mais à une puissance inimaginable à mon échelle d'individu.

Car moi, je n'ai vu qu'une simple connexion de 15 minutes, un échange mail et encore que du côté de la jeune femme, et j'en ai déjà appris beaucoup.

Imagine que Google ai accès à l'ensemble des mails de la jeune Femme, mais aussi ceux de son ami, sur des temps beaucoup plus longs, des années?

Eh bien dans ce cas Google sait déjà presque tout de ces deux individus.

Et maintenant applique ce raisonnement à l'ensemble des humains qui se connectent à Internet.

Bah, tu deviens parano, t'as toujours eu trop d'imagination de toute façon..


Tant et si bien que quand plus tard Edward Snowden a fait ses révélations en 2013, je ne suis pas tombé de ma chaise.

Je pense que beaucoup de gens s'en doutaient un peu, mais comme eux, c'est l'ampleur de cette surveillance qui m'a quand même surpris.

Et encore aujourd'hui, je pense que l'individu n'est toujours pas en capacité d'apprécier correctement l'échelle de cette surveillance globale.

Parce que depuis, je suis certain que ça s'est encore amplifié, mais ça, c'est parce que je suis devenu un bon gros paranoïaque.

Ça se soigne dit on...


Finissons sur une note d'espoir: Ce texte est publié sur Gemini, qui pour l'heure est un antidote très sain à cette folie intrusive (entres autres qualités).



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