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Quand je fais la vaisselle, j’aime écouter les podcasts de France Culture. Je ne le fais pas toujours : il faut que les bonnes conditions soient réunies (pas d’enfant au lit, assez de vaisselle pour que ça dure une petite heure…), du coup je ne « suis » aucune émission en particulier, mais je regarde dans l’appli (bourrée de pisteurs d’après exodus au passage) si je trouve un titre qui me tape dans l’œil et je l’écoute.
Hier, quand j’ai vu que *La Conversation scientifique* avait une émission sur la réparation, je l’ai tout de suite lancée. J’imaginais que cela parlerait de société du tout-jetable, de droit à la réparation, etc. Eh bien, pas *du tout* (je dois être trop influencé par ma bulle informationnelle libriste).
Les invité·e·s étaient Laurence Decreau (une professeure de lettres classiques engagée dans la réhabilitation des filières techniques), François Besse (un ancien lieutenant de Mesrine qui a été « réparé » par la philosophie en prison et devenu travailleur social), et Julien Lecarme (un charpentier responsable d’un institut au sein des Compagnons du devoir).
Avec un tel panel, vous pouvez commencer à voir le véritable angle d’attaque de l’émission : l’image de l’acte manuel et son importance dans la construction de soi. Bulle informationnelle ou pas, je trouve le titre trompeur ; néanmoins, l’émission a été vraiment passionnante, alors je leur pardonne.
J’ai toujours eu un travail plutôt intellectuel. Même si aucun d’entre eux n’a été un de ces *bullshit jobs* (c’est-à-dire un métier qui n’a pas de sens, ou dont le sens n’est pas perçu par celui qui le pratique) qui poussent certain·e·s à abandonner leur carrière pour devenir artisan·e·s, j’ai toujours ressenti le besoin de faire, de construire. Mais à l’exception du vélo que j’aimais entretenir quand je vélotaffais (il est dans un sale état en ce moment…) ces exutoires créatifs ont toujours été virtuels.
Un exemple : j’ai passé un temps important lorsque je rédigeais ma thèse à gérer très finement la typographie. Ce n’était pas un hobby puisque c’était une partie de mon travail de jeune chercheur, mais ce n’était pas le cœur de métier non plus. Lorsque je réflechissais au choix de *supersubstantialem* à la place de *quotidianum* pour traduire le grec ἐπιούσιον (*épiousion*) dans les traités du XIIe siècle, je ne *créais* rien, ma production bien que réelle était impalpable, ce qui est psychologiquement éreintant. Nous avons besoin de voir notre travail progresser.
C’est un peu la limite de l’angle choisi par cette émission. Oui, il faut d’urgence réhabiliter les métiers manuels. Oui, créer, construire, réparer, est essentiel pour le bien-être psychologique. Mais lorsque je m’occupe de mon petit serveur domestique, lorsque je mets en page mon gemlog, je crée aussi, je construis aussi, je répare aussi.
Et il ne faut pas non plus tomber dans l’angélisme. Charpentier c’est un beau métier, mais c’est aussi un métier dangereux et épuisant. Les statistiques sont claires : les métiers manuels sont occupés par des gens dont l’espérance de vie est moindre que celle des cadres. Dans une même CSP, faire les 3-8 (tour-à-tour travailler le matin, l’après-midi, la nuit) réduit aussi cette espérance de vie. L’homme, certes, comme l’écrivait Hannah Arendt, est un *homo faber*, un être qui, qu’on le veuille ou non, est défini par son travail. Mais le salariat a profondément dénaturé (si tant est que l’on puisse parler de nature ici) la relation entre l’individu et son travail : sans sortir du salariat, les problématiques posées justement dans cette émission resteront insolubles.
La société est elle aussi à réparer.
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Auteur : Adou (CC BY-SA 4.0)
Sujet : Autres
Date: 2021/06/02
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