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J’aimais beaucoup, lorsque je le pouvais encore, flâner dans les rayonnages consacrés aux sciences humaines des bibliothèques. Je prenais mon temps, dévorais moult quatrièmes de couverture, parcourais des chapitres au hasard et, finalement, choisissais un titre que j’empruntais et, généralement, oubliais sitôt rentré. Le plaisir était dans la traversée du champ des possibles, pas dans sa culture.

Mais maintenant, je suis papa. Quand je vais à la bibliothèque, c’est pour emprunter *Chamiaou fait des bisous* et *Mon imagier des couleurs*¹. C’est un bonheur différent mais mes visites à la bibliothèque ne sont pas devenues moins plaisantes, bien au contraire.

Donc, quand je visite l’étage des sciences humaines, ce n’est plus une flânerie ; c’est un raid, une incursion. Je ne suis plus Rousseau me promenant seul dans les jardins du savoir, je suis Sydroc le Viking pillant un monastère sans prendre le temps d’étudier les trésors que je ramène chez moi.

Lorsque je prends le temps de préparer mon incursion, tout est sous contrôle : je monte, je cherche, je redescends. *Veni, vidi, capi.*

Mais parfois, je monte sans avoir aucune idée de ce que je vais prendre. C’est le moment où je ramène quelque chose d’improbable, que je n’aurais jamais pris si j’avais eu le temps de chercher, mais, très souvent, cette improbabilité conduit à une découverte intéressante.

Je pense que c’est le cas avec ma dernière trouvaille : Valérie Charolles, *Le Libéralisme contre le capitalisme*, Paris, Fayard, 2006². Il semblerait que le livre a fait pas mal de bruit à sa sortie, mais en 2006 j’étais trop jeune pour m’intéresser à ce genre de livres, il est donc pour moi une totale découverte.

S’il m’a tout de suite tapé dans l’œil c’est sans doute parce que je me définis politiquement comme une sorte « socialiste libéral », au sens où j’essaye de réconcilier la propriété collective des moyens de production (= le socialisme) avec le libéralisme *politique* et *social*. Je suis donc bien loin d’être un « social-libéral », c’est-à-dire un libéral (prétendument) attentif aux conséquences sociales du libéralisme et cherchant (au moins un peu) à « limiter la casse ». Si j’essaie de sauver le mot « libéralisme », c’est justement en en extirpant la tradition économique classique de Smith ou Ricardo, et, *a fortiori*, la tradition néoclassique (ou néolibérale) de Friedman et consorts.

Je pensais donc avoir peut-être trouvé en Mᵐᵉ Charolles une philosophe qui, comme Serge Audier³ par qui j’avais découvert la tradition socialiste libérale, essayait de remettre au goût du jour cette tradition oubliée. Ce n’est pas le cas, j’en parlerai sans doute dans un article ultérieur.

Par contre, ce que j’ai trouvé intéressant dès les premières pages et dont je peux parler tout de suite, c’est la manière dont l’autrice remet l’économie à sa place : celle d’une science humaine, donc une science qui analyse l’Homme. L’économie ne discerne *pas* de lois naturelles, universelles et éternelles. L'Homme change, ses cultures et comportements aussi. La vision que l’autrice appelle idéologique de l’économie (et que moi j’appelle vision religieuse de l’économie), l’économicisme, prétend le contraire afin de servir le *statu quo* chéri par les classes dominantes.

1 : Au passage, si vous cherchez un bon livre audio pour ravir petits et grands, je suis tombé amoureux d’*Une Histoire d’Aucassin et Nicolette* de Zina Tamiatto, Marie-Emmanuelle Remires et quelques autres.

2: J’ai depuis appris qu’une version augmentée avait paru en 2021 chez Folio. Si sa lecture vous intéresse, peut-être vaudra-t-il mieux lire cette version.

3 : Je ne peux que conseiller la lecture de son petit livre *Le Socialisme libéral*, Paris, La Découverte (Repères 466), 2014 (ISBN : 9782707178190, doi : 10.3917/dec.audie.2014.01), disponible sur le CAIRN (et j’ai trouvé l’édition de 2006 sur LibGen).

Le viking des bibliothèques municipales et la misère de l’économisme