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Ouvriers


C’est une famille d’ouvriers - dans l’industrie automobile - des gens simples, de simples gens. Le père à cinquante ans, la mère quarante-neuf, un peu plus certainement… Ils ont deux enfants à la maison et un autre au cimetière. Ils ont trois enfants, dont deux vivants. À eux deux, au cumul, ils ont cinquante-neuf ans d’usine, de chaîne, de ligne de montage, d’horaires, d’équipe, d’équipe du matin, d’équipe de l’après-midi, d’équipe de nuit. Cinquante-neuf ans au compteur, dans de multiples équipes, des équipes qui se relaient aux mêmes postes de travail, par roulement prédéfini, successivement, indéfiniment, afin d'assurer un fonctionnement continu, un fonctionnement 24 heures sur 24, toute la semaine, tous les week-ends, toute l'année, toutes les années… Toute une vie. Pour les enfants, pour une simple question d’organisation, ils travaillent en horaires décalés, a contre-équipe, équipe paire ou impaire, le matin ou l’après-midi. Ils se croisent dans le couloir qui mène aux vestiaires, se passent les consignes, les petites choses du quotidien, les premiers pas du dernier, le rhume du plus grand, les factures à payer, les factures impayées, la cantine à régler, la maison à retaper, la banque qui a appelé, le rendez-vous annulé, le dentiste, le médecin, la voiture à réparer, le jardin, les courses, le repas sur la table et le lave vaisselle qui ne fonctionne plus, les publicités qui envahissent la boîte aux lettres, le chien qui a mangé, les émissions de télé, la fatigue accumulée par les nuits courtes et agitées...


Les fleurs fanées sur la tombe du premier...


La pluie commence à tomber. Une pluie fine sur les volets. L’aluminium couleur rouille, la façade bleutée. Un toit de tuiles passées où ruisselle jusqu’aux gouttières, la pluie qui s’est intensifiée. Le père s’est assoupi dans son canapé. Ce dernier trône dans un coin du salon, au nord positionné. La grande table en bois de chêne recouverte d’une toile cirée à motifs colorés, est accompagnée de six chaises bien ordonnées, bien disposées, six chaises à grands dossiers, bien placées, méticuleusement rangées. Sur le buffet, quelques babioles – des souvenirs de voyage, des monuments emprisonnés dans le cristal qui ont la possibilité d’êtres illuminés par un système de lumières incorporées - et autres statuts donc celle d’un chien de bronze, un berger allemand, dressé sur ses pattes sur un petit rocher, prêt à attaquer. Au sol, un vinyle PVC brun foncé mal posé. On remarque des décalages entre les multiples raccords, entre les coupes et les découpes bâclées. La crasse s’y est profondément incrustée. Elle a commencé à grignoter les bords, modifier en profondeur la matière et ainsi la déformer. Les murs ont jauni, la tapisserie est défraîchie, les bandes de velours aussi et des frises, il ne reste plus que la colle dont quelques mouches se sont accrochées. La tapisserie s’effondre par endroits, s’effrite quasiment partout, aidé par les multiples infiltrations d’eau qui perdurent depuis des années. Au plafond, les traces d’humidité s’étendent en dégradé – du gris au vert légèrement bleuté. Le fauteuil est recouvert d’une couverture grise à frange orange. Elle est percée par des dizaines de brûlures de cigarettes. Sur la petite table basse où il a reposé ses pieds, quelques canettes de bières vides, écrasées ou légèrement pliées, une ou deux pleines et un cendrier qui tente de déborder. Les ronflements du père résonnent jusque dans la cuisine où la mère prépare le dîner.


C’est une famille d’ouvriers - dans l’industrie automobile - des gens simples, de simples gens.


- Bruno Leyval


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